PÉRIGNAC : UN MONDE VRAIMENT ÉTRANGE

D’autres missions attendaient Fontaimé Denlar Paichel entre les années 1952 et 2036, date probable de son retour sur son îlot intemporel. En attendant, notre homme devait poursuivre sa route vers l’Angleterre où l’attendait sa prochaine aventure. Il est probable qu’il préférait vivre à cette époque, contrairement à son pauvre jumeau qui allait en voir de toutes les couleurs dans le monde des dinosaures. C’est donc par lui qu’il faut poursuivre la lecture de ce récit puisqu’il explique davantage l’origine des étranges primates australiens que nous avons rencontré à l’époque de l’Atlantide. Voici donc : Un monde vraiment étrange.

Qui pourrait croire que des humains vivaient à l’époque des dinosaures et surtout qu’ils parlaient entre eux la langue de Molière? Pourtant, rien n’est impossible en ce monde, surtout lorsqu’il existe des êtres qui peuvent voyager dans le temps. C’est ainsi qu’un farfelu personnage ayant pour nom, Mêléüs Denlar Paichel, parcourait différentes époques pour y accomplir des missions. Mais entre nous, jamais il n’aurait accepté de se faire envoyer à l’époque des monstres préhistoriques, à moins que cela se fasse d’une manière accidentelle. Ses maîtres de l’invisible le savaient si bien, qu’ils le firent d’abord apparaître au milieu du XX ième siècle pour qu’il y soit follement amoureux d’une charmante femme appelée, dame Aurore de Vicoque. Mais celle-ci ne l’aimait pas et se servit de lui pour qu’il l’aide à retrouver son ancien mari qu’elle croyait quelque part dans le temps, après avoir emprunté un étrange couloir lumineux, dont se servait Paichel pour se rendre un peu partout dans l’histoire du monde. Malheureusement, notre homme comprit trop tard les intentions de dame de Vicoque lorsqu’il vit celle-ci se laisser simplement attirer par le couloir Intemporel dans le but d’aller retrouver son époux. Comme le chien de Paichel cherchait à l’empêcher de s’approcher du couloir en question, Aurore se mit à crier en réalisant que la bête venait de se faire envoyer à l’époque des dinosaures. La pauvre femme voulut reculer, mais elle fut attirée à son tour par le puissant aimant lumineux et se retrouva également au même endroit. Paichel ne pouvait l’abandonner et se jeta tête première dans une autre aventure malgré lui. On pourrait dire que ses Maîtres de l’invisible utilisèrent dame de Vicoque pour inciter notre homme à se lancer lui-même dans ce couloir afin de vivre à l’époque où les animaux et insectes étaient rois et maîtres sur Terre. L’homme, s’il y avait vraiment sa place, c’était à titre de petite punaise.

Un chien-loup se retrouva au sommet d’un arbre, tandis qu’une femme chuta tête première dans un îlot de fougères géantes, pendant qu’un homme apparut sur une sorte de colline qui était en réalité la carcasse d’un brontosaure. Il perdit pied pour alors passer à travers le dos de l’animal. Sa chute se termina dans le nid d’un griffon. C’était du moins à quoi ressemblait l’étrange oisillon qu’il faillit écraser en tombant. Pourtant, loin d’en être apeuré, l’oiseau de malheur se mit à lui griffer amicalement les bras comme s’il venait de retrouver sa mère. Encore aveugle, le volatile au plumage noir et humide venait à peine de sortir de son oeuf.

- Sacré-nom-d’un-chien, s’écria l’homme en cherchant un moyen de sortir de là au plus vite. Il va me tatouer partout si je le laisse faire.

- Wouf! À l’aide, jappa le pauvre chien encore juché au sommet d’un arbre.

- Oh, c’est Bacchus, j’arrive mon pauvre ami.

Il sortit rapidement du gros ventre squelettique en passant simplement entre deux énormes côtes pour ensuite diriger son regard vers un arbre dont la cime semblait frissonner. C’est que le chien cherchait à descendre sans pouvoir se décider de quel côté il devait sauter. En somme, il avait peur de se briser les pattes sur un rocher qui faisait le tour de cet arbre sans se presser. Le pauvre chien venait de découvrir un spécimen très rare de tortue néo-jurassique puisque les dinosaures étaient déjà, à cette époque, sur le point de céder leur place à des mammifères, proches de ceux que connurent les premiers hommes des cavernes. Ainsi, à part sa taille vraiment énorme, cette tortue ne présentait aucun danger pour Paichel. Il s’amusa même à monter sur sa carapace, légèrement ondulée comme des vagues. Il vit alors une grosse tête décharnée à travers les arbres. C’était à vrai dire la tête du brontosaure qui se terminait par un long cou squelettique. Des arbres avaient poussés à travers son crâne.

- Aide-moi à redescendre, jappa le chien apeuré.

- Je veux bien t’aider, mais j’ignore encore comment je vais pouvoir m’y prendre. D’ici quelques années, il va peut-être te pousser des ailes et tu pourras alors voler mon bon Bacchus.

- Ce n’est pas drôle du tout, mon maître.

- Au secours, gémit une autre voix lointaine.

- Aurore!, c’est dame de Vicoque, gémit le pauvre homme en courant vers un îlot de fougères.

- Je suis prise entre ces sales feuilles géantes, lui cria la femme vraiment en mauvaise posture puisqu’elle avait la tête en bas et les jambes dans les airs.

- Wais, vous faites du yoga, ma parole!

- Je vous en prie, aidez-moi à me dégager si cela n’est pas trop exiger de vous.

- Mais j’étais sur le point de vous demander comment vous avez aimé votre voyage dans l’Intemporel, mais mieux vaut ne pas insister, lui dit l’homme en la sortant de sa prison.

- Vous parlez d’une maudite façon d’arriver à destination, s’empressa de lui répondre sa compagne indignée. Pardonnez-moi ma colère puisque je la crois justifiée dans les circonstances.

- Je vous en prie madame, je n’ai pas le temps d’écouter vos complaintes car je dois aider Bacchus à descendre de son arbre.

- Il est donc plus important que moi?

- Dans les circonstances, je dirais que ce chien peut nous aider à survivre.

Paichel se fit saisir le bras par la femme apeurée.

- Dites-moi que je rêve, Mêléüs. Nous ne sommes pas à l’époque des dinosaures, n’est-ce pas?

- J’en ai bien l’impression. Je viens de voir un brontosaure dont il ne reste que la carcasse. J’ignore comment il est mort, mais il va falloir demeurer sur nos gardes dans ce monde vraiment étrange.

Lorsque le couple arriva devant l’arbre en question, Bacchus en était déjà descendu. Il boitait légèrement mais sa blessure ne présentait aucune gravité.

- Comment te sens-tu mon brave Bacchus?

- Assez bien, mon maître, lui répondit la bête en fixant d’un air ébloui les gros os du brontosaure. Je pense que je vais me plaire ici. Jamais je n’ai vu autant de nourriture pour chien!

- Pour toi et non pour nous, les humains, s’empressa de lui faire remarquer Paichel en soupirant.

Il faut dire que Paichel possédait ce don particulier de pouvoir communiquer non seulement avec des animaux et insectes, mais encore avec des minéraux et des végétaux. Cela l’aiderait grandement dans sa mission puisqu’il n’était pas arrivé à cette époque pour y passer des vacances.

Il fallut un certain temps à nos Robinsons du futur pour s’organiser sur cette île, située sur des côtes de ce qui sera un jour désigné par l’ouest américain. Paichel réalisa que c’était vraiment une chance de se trouver sur une bande de terre entourée d’eau et de récifs. Les dinosaures semblaient bouder ce coin vraiment merveilleux, même s’il était chaud, humide, infesté de marécages et de fougères géantes aux odeurs nauséabondes. Que voulez-vous, il fallait bien que nos naufragés de l’intemporel trouvent un côté positif à une île épargnée par les grosses pattes des monstres préhistoriques. Il y avait évidemment ce squelette de l’apatosaurus, communément appelé brontosaurus ou brontosaure. Toutefois, il s’agissait d’une bête blessée ou malade qui était venue mourir à cet endroit sans avoir eu l’occasion d’explorer le nouveau paradis de nos amis. Notre homme aurait vu plusieurs traces géantes dans cette glaise durcie s’il y avait eu d’autres monstres que ce gros herbivore des marais. D’ailleurs, il était mort depuis des centaines d’années sans que ses congénères ne viennent habiter l’ÎLE DE MÊLÉOS. C’est ainsi que Paichel la nomma après l’avoir exploré de long et en large.

Mêléüs et Aurore se firent une coquette maison dans le ventre du brontosaure et qu’ils recouvrirent d’algues géantes et non de fougères à cause de leur odeur infecte. Il fallait également nourrir l’étrange oiseau qui suivait notre homme partout comme un caneton derrière sa maman. Tant qu’aux autres membres de cette nouvelle famille, ils trouvèrent en grande quantité des poissons ressemblant à des harengs et d’autres, à des anguilles. Paichel ne savait trop comment les identifier scientifiquement, sauf que ceux-ci étaient nombreux à se laisser prendre dans son filet improvisé. En effet, notre pêcheur se servait de sa culotte pour les attraper sur le bord des récifs. Lorsqu’un gros poisson venait s’introduire dans son vêtement, il finissait par se faire serrer dans l’une des jambes du pantalon.

Le premier soir, croyez-le ou non, Paichel fit un feu sur la grève. Pouvons-nous imaginer ce que cela pouvait signifier de pouvoir frotter une allumette achetée au milieu du XX ième siècle pour faire cuire du poisson il y a deux cents millions d’années environ? À quoi donc pouvaient songer Aurore et Paichel qui se savaient parfaitement les seuls de leur espèce puisque l’homme apparut sur Terre, il y a peut-être soixante-cinq millions d’années et encore, vraiment aussi intelligent que le singe, sans plus.

- À quoi songes-tu, Mêléüs en fixant cette flamme comme un homme tourmenté?, lui demanda Aurore, devenue très douce envers lui et qui jugeait inutile de le vouvoyer.

- Je réalise que c’était ma dernière allumette, lui répondit l’homme en soupirant. Il va falloir réapprendre à faire du feu comme les primitifs.

- Tu sais comment t’y prendre?

- Bien entendu. J’ai vécu plusieurs années dans une tribu néandertalienne au cours de l’une de mes aventures dans le temps. Mais vois-tu, nous étions alors plusieurs à pourvoir aux besoins de la tribu. Ici, si l’un de nous meurt ou tombe gravement malade, l’autre sera vraiment seul.

- Cela t’inquiète de savoir que l’on soit les seuls humains sur Terre, n’est-ce pas?

- Je dirais que j’éprouve un bien étrange sentiment en ce moment, lui répondit Paichel en esquivant un sourire. Nous vivions dans un monde où des millions d’hommes s’entre-tuaient pour des questions d’argent et de pouvoir, tandis que je m’inquiète pour notre survie. Sais-tu que tu représentes, à toi seule, la moitié de l’humanité et moi de même? Ensemble, nous constituons toute l’histoire de la race humaine vraiment fragile dans ce monde peuplé de dinosaures.

- J’en éprouve beaucoup de crainte et d’incertitude face à notre avenir, lui répondit la femme

Paichel opina de la tête avant de répondre :

- Nous sommes exactement comme des puces, tombées dans le pelage d’un chien. Il lui suffirait de se gratter légèrement pour nous expulser de son domaine.

- Moi, les puces ne me dérangent pas, lui dit Bacchus, alors assis près de lui.

- Brave chien, ta présence me réconforte grandement. Nous sommes si peu nombreux sur cette île que chacun de nous est devenu indispensable aux autres.

- Dois-je en conclure que j’aurai le droit de dormir dans votre maison?, lui demanda innocemment la bête.

- Par prudence, nous devrons tous dormir dans la maison, lui répondit son maître en lui caressant les oreilles. Nous n’avons pas vu d’animaux féroces, mais mieux vaut ne prendre aucun risque.

- Il va également dormir dans la maison?, demanda le chien en pointant son museau vers l’oiseau endormit près d’Aurore.

- Oui, il fait partie de la famille à présent, lui dit Paichel en riant.

- Il faudrait lui donner un nom, demanda la femme en souriant.

- À voir les marques de griffes qu’il m’a laissé sur les bras, j’ai bien envie de l’appeler Griffin.

- Griffin? C’est un joli nom, mais pas aussi beau que celui de Mêléüs...mais presque!

- Hum, j’accepte volontiers ce compliment. Allons-y pour Mêléüs, roi et maître de l’île de Mêléos. Et toi, tu es Aurore, reine de mon coeur. Tu sais...je t’aime.

- Tu m’aimes encore malgré que je t’ai trompé par de faux sentiments?

- Que veux-tu, l’amour m’aveugle et donc je ne peux voir cette trahison.

- Si l’amour t’a aveuglé, il m’a ouvert les yeux sur un homme vraiment bon, généreux et aimable. Il faut me laisser le temps de te connaître davantage pour savoir si cette amabilité va réanimer en moi le même sentiment que j’éprouvais jadis envers mon époux.

- Tu l’aimais passionnément, n’est-ce pas?

- Tu sais très bien que je me suis jeté dans ce couloir Intemporel dans le but d’aller le rejoindre. Je ne veux pas projeter sur toi cette folle passion que j’éprouvais envers lui. Cela serait encore une fois une trahison. Je ne veux pas te substituer à lui, mais apprendre à t’aimer pour toi.

- Je comprends ton sentiment et je te remercie de ta franchise, Aurore. Je vais attendre que ton coeur se libère.

La première nuit, personne ne dormit. Le moindre froissement de feuilles ou de bruits bizarres suffisaient à créer de l’angoisse, inutile sans doute, mais que nos amis ne pouvaient contrôler. Dame de Vicoque finit par se blottir dans les bras du seul homme de la planète qui pouvait la protéger contre ses peurs. Elle était persuadée que Paichel souhaitait vivement ne jamais devoir se trouver devant un dinosaure. Il est vrai que cela pouvait leur être fatal, mais cette dame ne connaissait pas encore son homme qui avait déjà planifié se rendre un jour sur le continent. Il voulait explorer de plus près ce royaume des dinosaures puisqu’il se disait que c’était une occasion exceptionnelle de pouvoir regarder ces monstres de plus près et en chair et en os. Il avait peur en réalisant ce qui pouvait lui en coûter d’épier les animaux préhistoriques, mais sa curiosité était encore plus forte. Puis, entre-nous, Paichel n’était pas ce genre d’individu qu’on pouvait soumettre par la peur. Il avait vécu trop d’expériences périlleuses dans le temps pour ne pas vouloir se risquer, un jour ou l’autre, sur le territoire des géants.

Même si le temps s’écoulait lentement, le petit Griffin grossissait vraiment vite. Au bout de quelques mois, il était deux fois de la taille d’un homme et ses ailes déployées s’étendaient à plus de trois mètres de largeur. Puis, que dire de ses pattes aux serres redoutables, sinon qu’elles pouvaient se saisir de Bacchus sans le blesser afin de le conduire au-dessus de l’île pour jouer au Super-Dog. Il faut dire que l’oiseau de proie et le chien étaient devenus des amis inséparables. Ils chassaient des petits rongeurs, ce qui variait le menu de leurs maîtres. Paichel se demanda longtemps pourquoi la mère de Griffin ne recherchait pas son petit. La seule réponse qui lui vint à l’esprit fut que celle-ci le croyait mort. Puisque l’oeuf se trouvait dans le ventre du brontosaure, notre homme en déduisit qu’il fut simplement avalé par la grosse bête. Aurore lui demanda tout de même d’une voie inquiète :

- Sa mère l’a peut-être simplement déposé dans le ventre de l’animal dans le but de revenir le chercher plus tard?

- Rassures-toi voyons, elle ne pouvait introduire un oeuf aussi gros entre les côtes du monstre.

- Si tu dis vrai, tu oublies le nid. Qui l’aurait fabriqué alors?

- C’était un nid d’algues, ma douce Aurore. Je pense que c’était suffisant pour que le brontosaure avale l’oeuf en même temps que le nid.

- Tout de même, si tu as raison, insista la femme en souriant, il faudrait admettre que cet oeuf est demeuré des centaines d’années dans le ventre du gros herbivore avant d’éclore?

- C’est probablement le cas. Puis, si le brontosaure n’a pas eu le temps de le digérer, c’est qu’il est mort peu de temps après l’avoir gobé.

- L’oeuf l’aurait empoisonné?

- L’oeuf ou bien le nid. Je ne le sais pas. Toutefois, l’animal était peut-être déjà malade ou simplement trop âgé pour le digérer.

- Cet oeuf fut réchauffé pendant plusieurs années par l’animal en décomposition?

- Oui, la mort du dinosaure fut bénéfique pour Griffin.

- Tu crois qu’il retournera un jour auprès des siens?

- C’est possible que son instinct sauvage le pousse à retourner sur le continent, mais j’ignore s’il est conscient qu’il existe d’autres oiseaux de son espèce en dehors de l’île. Une chose est toutefois certaine, c’est que cet oiseau n’est pas originaire de l’île, tout comme le brontosaure.

Ce que Paichel évitait de dire à sa compagne, c’est qu’il comptait sur Griffin pour le transporter un jour sur le continent. Mais ce plan de voyage ne pouvait fonctionner puisque notre homme ignorait qu’un tel oiseau ne pouvait voler longtemps. Si le contraire avait été vrai, d’autres volatiles de cette espèce se seraient déjà aventurés sur cette île en traversant ces cinquantaines de kilomètres qui la divisait du continent.

Dame Aurore de Vicoque s’était déjà habituée à cette vie de Robinsons, mais son compagnon lui dit un matin en l’aidant à tisser des genres de jaquettes avec des algues séchées :

- Tu sais Aurore, quelque chose me dit que je devrai bientôt accomplir ma mission.

- De quelle mission parles-tu voyons?

- J’ignore encore laquelle, sauf que mes Maîtres de l’invisible ne m’ont sûrement pas envoyé ici sans raison.

- Écoute, si tu es ici, c’est que tu es venu à mon secours. Je trouve ce geste très noble de ta part.

- Hum, tu ne connais pas encore ces Maîtres, ma pauvre Aurore. Peu importe où je me trouve, ils finissent toujours par me trouver du boulot à accomplir.

- Mais que veux-tu qu’ils te donnent comme mission sur notre petite île?

- Justement, cette île est notre protection contre les dinosaures, mais en ce qui me concerne, je sais que ma mission devra se faire ailleurs.

- Pas sur le continent?

- Si. C’est là que mon coeur m’indique d’aller.

- Ta mission, ta mission, tu n’as que ce mot en tête, lui répondit la femme qui n’était vraiment pas disposée à lui laisser quitter l’île.

- Aurore, tu ne devrais pas t’en prendre à ma vocation de missionnaire. Je comprends tes craintes à me voir partir un certain temps, mais je ne peux changer ma nature. Comme je voyage partout dans le temps, il faudra bien que tu acceptes le fait que je ne serai jamais ce genre d’homme qu’une femme doit s’attendre à conserver près d’elle bien longtemps. Bien avant de te connaître, j’ai vécu des milliers d’années et accompli plusieurs missions alors que tu n’étais même pas née. Tu voudrais sans doute que je te prouve mon amour en refusant de suivre ma vocation?

- Mais quel genre d’homme es-tu donc pour accepter d’abandonner une femme sous prétexte d’aller accomplir une mission?

- Il faudrait peut-être que tu sois honnête envers toi-même. Selon toi, combien d’hommes doivent quitter leur femme et leurs enfants pour obéir à leurs supérieurs lorsqu’ils doivent faire la guerre? C’est évident que je ne me bats pas avec un fusil, mais j’obéis tout de même à des Supérieurs qui n’accordent aucune valeur aux vanités et gloires de ce monde. Ils s’attaquent uniquement au coeur humain pour tenter de le pacifier. Crois-tu au moins que je puisse être un soldat de la paix?

- J’ignore si tu es un soldat de la paix ou si tu cherches uniquement à m’émouvoir. Je me demande ce que tu gagnes à faire le clown pour des causes insensées?

- Voyons, crois-tu que je suis un missionnaire des causes insensées par manque de maturité? On peut évidemment m’accuser d’avoir l’air ridicule et surtout d’accepter de vivre comme un clochard. On oublie cependant que c’est moi qui a choisi ma condition et non la fatalité. Tu sais, mes nombreux voyages dans le temps m’ont indiqué tous les endroits où s’y trouvent des mines d’or, des gisements de pétrole et même des trésors qui ne sont pas encore découverts. Si je le voulais, je pourrais m’approprier la paternité de toutes les inventions importantes puisqu’il me suffirait pour cela de réinventer dans une époque antérieure ce qui existait dans celle du futur. Crois-moi, je connais par coeur des formules mathématiques qui auraient faites fureurs aux temps des Égyptiens et dans d’autres époques futuristes. Qui pourrait d’ailleurs m’accuser de dérober des secrets technologiques pour les adapter dans un temps où personne n’aurait eu l’idée de les inventer? Qu’est-ce qui m’empêcherait d’acheter des terrains qui vaudront des fortunes lorsqu’on voudra construire des villes et des routes? Tu ne penses pas que je serais le mieux placé pour savoir spéculer dans ce domaine puisque je connais toutes les époques et les endroits où les terres seront les plus profitables dans dix ou vingt ans, cent ans ou mille ans? Je ferais même fortune en prédisant l’avenir sans la moindre erreur! Dis-moi à présent ce qu’un homme sensé aurait fait à ma place?

La femme baissa les yeux en rougissant de honte. Son amoureux ajouta sans aucune mesquinerie dans sa voix :

- Je vais te faire une autre révélation, Aurore. Dans plusieurs de mes aventures, il m’arrive de posséder beaucoup d’or. J’en dépense énormément et j’en cache une partie dans un endroit où je pourrai le récupérer dans une future mission. Ainsi, en arrivant dans une autre époque, j’ai toujours un peu d’or pour m’aider à me loger et nourrir en attendant de me débrouiller autrement. Des mauvaises langues pourraient colporter que j’aime l’or, mais s’ils devaient voyager comme moi, non pas d’un pays à l’autre, mais bien d’une époque à l’autre, je me demande ce qu’ils feraient avec un billet américain à l’époque des Grecs, par exemple? C’est pour cela que j’utilise l’or puisqu’il a toujours sa valeur monnayable, peu importe où je voyage dans le temps.

- D’accord, si j’admets que tu es missionnaire, je refuse tout de même de vivre seule sur cette île. Je préfère t’accompagner sur le continent.

- Voyons, Griffin ne pourrait nous transporter tous les deux sur le continent.

- Et tu crois que je vais accepter de vivre ici en ayant comme toute protection que celle de Bacchus? Tu veux me faire mourir d’angoisse, ma parole?

- Tant pis, j’irai sur ce contient en radeau ou s’il le faut, je ferai ce trajet à la nage.

- Mais vas-y au plus vite, entêté.

Décidément, dame de Vicoque avait du caractère. Elle se leva pour ensuite lui jeter son tissu à la tête avant d’aller s’enfermer dans la maison. Notre homme se leva à son tour et secoua la tête d’un air attristé puisqu’il n’était pas dans son intention de faire de la peine à celle qu’il aimait profondément. Il préféra aller flâner sur la grève afin de réfléchir à la situation. Alors, une étrange voix lui dit joyeusement :

- Allons mon héros, ne me dit pas que tu songes à te rendre sur le continent à la nage?

- Qui êtes-vous?, demanda notre homme en regardant inutilement autour de lui.

- Je suis l’auteur!

- Mais l’auteur de quoi?

- Celui de tes aventures, mon héros! Écoute-moi bien, j’en suis encore au premier chapitre où je tente de deviner comment je t’enverrai sur le continent. Je réalise que tu ne pourras jamais quitter ton île, à moins de pouvoir te construire un radeau. Il n’est pas question que je te laisse traverser à la nage puisque j’ai envie de défier toutes les lois du bon sens en t’offrant l’occasion de t’y rendre à pied.

- En marchant? Je commence à comprendre pourquoi je passe pour un insensé dans mes aventures. Vous ne pourriez pas simplement me fournir des outils pour me construire un radeau?

- C’est ça, veux-tu une scie électrique et une perceuse tant qu’à y être? Voyons, il faut tout de même respecter une certaine logique, mon héros.

- Ce n’est pas nécessaire de me fournir des outils électriques si je n’ai pas de prises pour les brancher.

- Des prises, tu en fais tous les jours à la pêche, lui répondit l’auteur pour taquiner son poisson. Si tu pêches un poisson électrique, peut-être as-tu une chance de le mettre au courant de l’affaire qui retarde ton départ. Mais s’il s’en fish, c’est peine perdue et aussi bien oublier cette solution de truites ( détruite ).

- Bon, il s’est perdu dans les jeux de mots, ce sacré auteur, gémit Paichel. D’accord, je vous trouve quelque peu insensé de me faire marcher sur les eaux, alors qu’il me suffirait de quelques outils pour fabriquer un radeau.

- Bon, tu as du bois? Non, cette île est remplie de fougères géantes qui ne pourraient constituer une solide embarcation. Puis, qui t’a parlé de marcher sur les eaux? Je t’ai dit que tu pourras traverser en marchant, n’est-ce pas? Regarde là-bas, il y a quatre grosses tortues que tu pourrais apprivoiser pour qu’elles acceptent ensuite de te servir de plancher.

- Tout de même, il m’en faudrait vingt mille de plus pour faire un pont entre mon île et le continent.

- Non, lui dit l’auteur, pas si tu sais leur enseigner la manière de se suivre de très près et en ligne droite.

- À la queue leu leu, quoi!

- Sûrement pas en queue de poisson, si tu tiens à terminer ton voyage. Il te suffira simplement de monter sur une première tortue pour ensuite faire quelques pas et si tout est parfaitement synchronisé, la suivante immergera devant elle pour que tu puisses marcher sur son dos. J’ai songé à te faire traverser assis sur une tortue herculéenne. Mais ce mammifère n’est pas un bateau pour supporter un poids au-delà d’un certain temps. Elle va s’épuiser rapidement et te conduire fatalement au fond de l’eau.

- Si je comprends bien, lui dit Paichel, vous ne voulez vraiment pas me rendre la vie facile? Si justement la deuxième tortue refuse de passer sous sa congénère afin d’immerger devant moi, je vais donc devoir m’attendre à couler?

- Définitivement.

- Au moins, j’admire votre franchise. Mais puis-je savoir ce qui m’attend sur ce continent si j’y parviens sans me noyer auparavant?

L’auteur lui répondit :

- Je l’ignore mon héros. Je suis l’auteur de tes aventures et non la muse qui m’inspire alors que je transpire en écrivant sur mon ordinateur. C’est elle la véritable patronne...pas moi.

Paichel insista tout de même, mais la voix se fit silencieuse.

- D’accord, je n’insiste plus. Qu’avez-vous l’intention de faire à présent?

- Mais retourner dans mon bureau pour écrire la suite de tes aventures en sirotant une bonne tasse de thé.

- Chanceux!

Notre homme reçut alors une boîte de thé sur la tête et vit une théière en fer blanc tomber à ses pieds. Toute la journée, Paichel tenta d’apprivoiser les tortues, mais celles-ci refusaient de sortir la tête de leur carapace. Il retourna donc à la maison pour montrer ses trouvailles à Aurore. Elle lui dit d’une voix sèche :

- Cela ne m’intéresse pas de savoir que tu as parlé avec l’auteur de tes aventures et même de prendre le thé en ta compagnie.

- Sacré-nom-d’un-chien, je commence à te trouver pas mal soupe au lait, lui répondit son compagnon en astiquant la théière de sa main.

- C’est ainsi et probablement pour VITAM ETERNAM.

- AMEN, lui répondit Paichel en l’examinant marcher d’un pas décidé jusqu’à l’intérieur du brontosaure.

La guerre froide venait de débuter, mais dura à peine quelques secondes, car la pauvre femme se mit à crier d’effroi et sans préciser davantage ce qui la terrorisait. Son compagnon entra en trombe dans la maison pour voir Aurore se débattre avec fureur contre une tige géante qui s’était introduite dans la pièce en passant simplement entre les côtes de l’animal. Paichel comprit qu’il fallait à tout prix arracher cette étrange plante plutôt que de tenter de la dérouler autour de la taille de sa compagne. Il sortir rapidement à l’extérieur pour crier à Griffin de venir le retrouver derrière la maison. L’oiseau introduisit ses énormes serres dans le sol et déracina la tige d’un coup sec. Alors, elle se mit à crier faiblement et du sang sortit de ses racines. Notre homme gémit aussitôt en examinant le cadavre végétal : “ Mais qu’est-ce c’est? ”

Dans ce monde où le sol était d’une rare fertilité, il était possible de voir des fleurs croître rapidement, mais pas aussi vite que cette plante qui venait de s’introduire dans la maison. Mêléüs songeait sérieusement à la possibilité d’avoir devant lui une plante humanoïde ou du moins, animale en apparence à cause de son aspect végétal. Cette longue tige était recouverte d’une poudre blanche dont l’odeur rappelait celle de l’éther. Paichel retourna dans la maison pour examiner Aurore encore étendue sur le sol et tremblant de tous ses membres. Il s’empressa de la saisir dans ses bras pour la réconforter.

- Comment te sens-tu, Aurore?

- Je ne peux m’empêcher de trembler. C’était quoi cette plante?

- Je l’ignore. Tu sais, nous vivons à une époque où la planète est un véritable laboratoire naturel. La VIE y prend toutes sortes de formes pour préparer celle que l’homme aura dans des millions d’années. Nous sommes, toi et moi, le résultat de cette métamorphose.

- Il n’en fut pas toujours ainsi? L’homme vient du singe n’est-ce pas?

- Probablement du singe, mais lui, à quoi ressemblait-il avant de descendre des arbres et de manger des bananes? On oublie souvent que l’évolution est perpétuelle et que même les hommes muteront en autre chose s’ils parviennent à survivre trois cents ou quatre cents millions d’années. Ils risquent de s’autodétruire avant, mais s’ils dépassent ce stage des confrontations, ils vont progressivement adapter une autre sorte de corps.

- Ils n’auront plus de mains et pas même de pieds?

- Hé bien, tu n’as qu’à comparer l’homme des cavernes à celui des temps modernes pour voir déjà ses traits se raffiner. Un jour, il sera impossible de distinguer un homme d’une femme, sinon par leur organe mâle et femelle. Leurs doigts vont s’allonger, ainsi que leur crâne. Puis, leurs orteils seront à peine plus longs que ceux d’un jeune enfant. Ils marcheront comme ces petites chinoises aux pieds déformés.

- On dirait que tu cherches à me dire que cette plante était une sorte d’humanoïde?

- Je pense que c’est le cas.

- Pourquoi m’a-t-elle saisie dans le but de m’étouffer? J’ai même perdu connaissance lorsque tu cherchais à l’arracher du sol.

- Je pense, Aurore, que c’est ton odeur qui l’a attiré ou simplement un instinct de survie.

- Un instinct de survie? Que refuses-tu de me dire? Je dois savoir...j’ai peur.

- Hé bien, il se peut que je me trompe, mais cette plante voulait...te féconder.

- C’est ridicule, elle m’a entourée la taille et le cou. Suis-je assez claire?

- Aurore, son odeur t’a pénétrée la peau avec ses milliers de petites épines recouvertes de poudre blanche. J’espère me tromper, mais j’ai vécu trop d’aventures dans ma vie pour savoir qu’une espèce en voie d’extinction fera tout pour se muter en autre chose.

- C’est de la pure science-fiction...ça!

- Non, c’est la vie d’une espèce qui cherche à survivre lorsqu’elle se sait en dehors de l’évolution. Cette plante a peut-être eu son temps ou sa place sur notre planète, mais l’évolution l’oblige à se muter ou à simplement disparaître.

- Cette poudre blanche était la semence de ce monstre végétal? Je vais donc avoir un bébé-plante?

- Pas une plante puisque tes gènes sont le fruit de millions d’années d’évolution humanoïde. Si tu as un enfant, il ressemblera à un humain.

Paichel était vraiment inquiet au sujet de sa compagne qu’il ne pouvait laisser seule sur l’île puisque quelque chose lui disait qu’elle mettrait bientôt au monde un enfant qui n’était pas de lui. Comment allait-elle réagir en voyant à quoi ressemble celui-ci? Vraiment, Aurore ne tenait pas du tout à en discuter pour le moment. Elle lui demanda de lui faire un bol de thé en espérant faire cesser ses tremblements. Mêléüs la sortit de la maison en la gardant dans ses bras. Il l’installa près du petit feu qu’il gardait allumé en permanence devant la demeure afin d’éloigner les animaux. Mais avant de sortir du ventre du brontosaure, il jeta un rapide coup d’oeil sur la tige inanimée qui ressemblait à présent à une queue de singe.

Pendant plusieurs semaines, Aurore se comporta normalement et son compagnon faisait semblant d’avoir oublié cette histoire de tige. Un matin, prise de nausées, la pauvre femme se mit à pleurer en cherchant les bras de son compagnon.

- Non, je ne veux pas un enfant de cette sale monstruosité. Aide-moi à m’en débarrasser.

- T’avorter? Non, jamais je n’accepterais une telle solution.

- Les hommes sont tous les mêmes, lui cria-t-elle d’une voix désespérée. Vous avez des principes, mais c’est tout de même nous, les femmes qui devons en supporter les conséquences. Pourquoi devrais-je accepter de mettre au monde un être indésirable?

- Je sais ce que tu ressens, Aurore, et je ne mâcherai pas mes mots pour dire que ce monstre t’a VIOLÉ. J’en pleure amèrement depuis des semaines, mais jamais je ne pourrai accepter de te débarrasser de cet enfant.

- Ce n’est pas un enfant, mais cette CHOSE qui appartient à cette plante humanoïde.

- Je le sais et pourtant, si on la tue, nous serons les premiers meurtriers de l’humanité.

Paichel tenta de lui faire comprendre qu’étant dans une époque où l’homme n’existait pas encore, ils n’avaient pas le droit d’empêcher la première forme humaine d’apparaître sur Terre. Qu’elle l’accepte ou non, Aurore allait devoir mettre au monde le premier singe intelligent de la planète.

- Ma pauvre Aurore, comment puis-je m’y prendre pour t’expliquer que nos moindres actions auront un impact direct avec le développement évolutif de la vie sur terre? Logiquement, nous ne devrions même pas exister avant le singe et pourtant, c’est lui qu’on voudrait empêcher de naître. Si tu refuses de le mettre au monde, ta décision retardera pour des milliers d’années à venir son existence en tant qu’ancêtre de l’homme. Je te dis cela puisque que je l’ai vu dans un songe. Il naîtra par toi ou bien, par cette lente évolution des espèces. Cette plante humanoïde ne t’a pas choisie comme mère du singe, mais simplement à cause que tu possèdes ce pouvoir d’enfanter. Si tu n’avais pas été envoyé à l’époque des dinosaures, cette tige se serait saisie d’une autre femelle animale ou végétale pour transmettre ses gènes. Un jour ou l’autre, c’est le rat qui en aurait été le porteur et celui-ci l’aurait transmis à un autre animal ayant encore plus d’affinité physique avec le singe. C’est un long processus qui va ensuite le muter en homme-singe. Encore là, on ne sait vraiment pas comment s’est faite cette métamorphose ou division entre l’homme et le singe. Tous les deux sont frères physiquement, mais le singe fut incapable de développer un langage articulé. Je pense que c’est l’association des sons qui permit à l’homme de créer finalement cette division d’avec son FRÈRE DES ARBRES en développant une intelligence axée sur le dialogue. Car plus il a compliqué son vocabulaire, plus il rechercha la précision dans ses propos. Puis, je pense que c’est ce pouvoir d’associer des mots à des images mentales qui éveilla finalement sa conscience à d’autres plans ou réalités. Le singe rêve, mais ignore comment expliquer les images qu’il voit. Il possède l’instinct de survie comme son FRÈRE DÉCOUVREUR, mais son monde ne va pas au-delà de ses cinq sens. Il ne peut créer des images.

- Des images? Tu crois que l’homme se distingue du singe à cause des images qu’il peut inventer?

- L’homme invente en parlant et ses paroles suscitent des images dans l’esprit de celui qui l’écoute. Évidemment, si plusieurs auditeurs entendent les mêmes mots, ils ne les interprètent pas toujours de la même manière. Ils ont des images différentes selon leur culture, éducation, moeurs, imagination, etc,. Donc, nous comprenons ce que nous pouvons nous expliquer. Tu vois, si tu multiplies toutes ces images que l’homme cherche à expliquer, tu en arrives à la conclusion qu’il réfléchit, qu’il analyse et transpose constamment ce qu’il pense en toutes sortes d’idées qui font que chaque homme est unique parmi ses millions de semblables. Je crois également que toutes ces images articulées par des mots ou des idées activent les neurones “ nerveusement ”, si je peux employer cette image, et cela multiplie ses cellules mentales. Puis, génétiquement, l’homme cède une partie de ses connaissances à sa descendance, ce qui nous éloigne encore plus du singe qui peut encore mimer ses gestes sans pour autant comprendre pourquoi l’homme parle et pas lui.

-C’est le langage qui a fait évoluer l’homme?

- J’en suis convaincu, Aurore. Plus il y aura de langues différentes sur Terre, plus l’homme aura des images différentes à communiquer, car chaque langue possède ses propres définitions d’images. Mais, pour en revenir au sujet qui nous attriste tous les deux, je te demande de réfléchir aux conséquences qu’aura ton geste si tu tentes de te débarrasser du singe qui n’a pas demandé à naître de ton ventre. L’apparence est une chose qui peut inciter à juger sans connaître la véritable nature de celle-ci. Un singe ou un homme va lutter pour sa survie, surtout si ce n’est qu’une question d’apparence. Je veux dire par cela que si le nombre de gènes est le même, comment peut-on prétendre que l’un est simplement un animal et pas celui qui deviendra l’ancêtre de l’Homme? Si je te disais que les algues sont encore plus proches de nous que les rats ou les fourmis comme espèces, je ne ferais qu’émettre une hypothèse puisque l’origine de la Vie ne vient pas de la Terre mais de l’Univers. Nous ne devrions même pas nous trouver ici. As-t-on le droit de juger cette plante qui t’a prise pour une forme vivante, capable de la faire exister encore dans le plan de la Vie? Ta dignité en a prise un rude coup, mais je te demande encore de laisser vivre le premier singe de l’histoire.

- Je vais le détester, vraiment le mépriser puisqu’il n’est pas mon enfant, mais une BÊTE.

Aurore comprenait parfaitement qu’elle était accidentellement devenue la mère du singe et en éprouvait beaucoup de honte. Par contre, elle devenait l’un des chaînons de la fantastique évolution des espèces sur Terre. C’était comme si son sacrifice devait permettre au singe d’exister dans le plan de la Vie.

Dame de Vicoque se résigna finalement à accepter son sort, en considérant sa condition de mère comme un incident de la nature. Elle se disait affecté d’une maladie passagère dont elle se sentait victime, sans plus. Un jour, son médecin allait lui arracher cette grosse tumeur pour la libérer. Il ne fallait surtout pas lui demander d’éprouver le moindre attachement pour cet enfant. Est-ce que l’on aime sa tumeur cancéreuse? C’est ainsi que se motivait cette femme en examinant son ventre grossir semaines après semaines. À la fin du huitième mois, elle dit à son compagnon :

- Écoute-le bouger dans mon ventre ce petit monstre des laideurs!

- J’écoute et je les entends bouger. J’ai l’impression que tu auras des jumeaux.

- Je m’en fous. Tout ce que je te demande, c’est de m’en débarrasser.

- Tu souffres et je ne sais vraiment pas trouver les mots qui pourraient te consoler.

- Ne dis rien puisqu’ils vont bientôt sortir de mon ventre et c’est tout ce que je veux.

- Oui, ils doivent sortir de ton ventre, ma pauvre Aurore. Je vais les sortir par la queue s’il le faut.

- Mêléüs, je suis probablement en train de devenir folle. Mais je voudrais te dire pendant que je suis encore lucide que je t’aime. Je sais que tu ne dors plus depuis plusieurs semaines et que tu pries pour moi. Je ne mérite vraiment pas ton amour car je ne suis plus une femme, mais une sale guenon.

Paichel s’empressa de lui serrer les mains avant de les placer sur son coeur en disant les yeux pleins de larmes :

- Accepte-moi comme ton singe amoureux si c’est ainsi que tu as l’intention de te définir toi-même. Moi, en autant que tu m’aimes, je pense pouvoir te décrocher la lune.

- Ou des bananes, lui répondit Aurore en lui essuyant les yeux.

Son amoureux ferma les yeux pour lui offrir ces vers improvisés rapidement.



Si Aurore aime les bananes
Son amoureux vivra dans les lianes
Pour lui décrocher le fruit de la manne
Qui guérira peut-être son âme

- Tu sais, bananes ne riment pas avec âme, mais femme ne rime pas n’ont plus avec guenon.

Puis, la nuit de l’enfantement arriva le jour d’un orage. Les cris d’Aurore se perdirent entre les coups de tonnerre. Deux petits singes se retrouvèrent finalement dans un panier, fabriqué tristement par Paichel afin qu’il serve de berceau. Il y avait là, une guenon et un singe vraiment hideux, si on voulait évidemment les comparer à des enfants. Notre homme n’osait dire à la mère qu’il les trouvait tout de même mignons pour des singes. Il serra les mains froides et fiévreuses d’Aurore en lui demandant calmement :

- Comment te sens-tu à présent?

- Je ne sais plus, lui répondit-elle en fixant la voûte arrondie de la demeure. Ils sont en santé?

- Oui, mais toi, comment vas-tu?

- J’irai mieux lorsque tu m’auras débarrassé d’eux. Je t’en prie, va les cacher quelque part. Ne t’inquiète pas pour moi puisque je vais dormir un peu.

- Oui, je te promets d’aller les cacher dans un endroit où tu ne les verras pas. Il faudrait tout de même que j’aille les nourrir, mais j’ignore avec quoi?

- Mon pauvre Mêléüs, tu es si grand de coeur que je ne peux t’en vouloir de t’inquiéter pour mes petits monstres. Bande-moi les yeux, je te prie.

- Non, ta mission n’est pas de les nourrir de tes seins. C’est vraiment trop exiger de ta nature de femme.

- Écoute, ils pleurent; je pense qu’ils ont faim. Je ne veux pas les voir, mais je ne peux également les laisser mourir de faim.

Paichel lui banda les yeux en lui disant d’une voix émue : “ Tu es belle au fond de ce coeur que j’ai cru si longtemps glacé. ” Décidément, dame de Vicoque était humaine, une vraie humaine pour laisser ces petits singes boire à ses seins même si elle disait les détester. Il n’y a vraiment que la femme qui puisse comprendre un tel sentiment dualiste.

Dame Aurore de Vicoque accepta de nourrir ses rejetons jusqu’au moment où ils furent suffisamment autonomes pour se nourrir d’eux-mêmes. Bananus, le petit mâle et Guenelle, la femelle et sa jumelle, ne tenaient pas cependant à quitter leur mère, même si celle-ci les repoussait à coups de pieds. Depuis le début, elle refusait de les voir et portait un bandeau sur les yeux dès que ses petits monstres osaient s’introduire clandestinement dans la maison pour chercher à s’accrocher affectueusement à ses jambes. La pauvre femme les évitait violemment et parfois ses cris devenaient presque des pleurs hystériques. Paichel pouvait comprendre ses réactions, mais il en savait trop sur la psychologie humaine pour savoir que Bananus et sa soeur souffraient terriblement d’un manque d’affection maternelle. Des petits sons s’échappaient de leurs gueules dentelées et qui passaient pour des cris incohérents pour Aurore. Mais notre homme pouvait les associer aisément au mot : MAMAN.

Un matin, il a bien fallut que Mêléüs libère sa compagne de ces affreux petits monstre en les enfermant dans des poches qu’il avait confectionné à cet effet. Il partit ensuite en compagnie de Bacchus qui lui jappa d’un air alarmé :

- Que vas-tu en faire mon maître?

- Les éloigner de ma compagne puisque je vois bien qu’ils perdent leur temps à grandir auprès d’elle.

- Elle n’aime pas les singes, alors?, demanda le chien.

- Tu ne pourrais comprendre ses raisons. J’espère seulement qu’ils pourront survivre dans cette forêt d’algues et de marécages.

- J’irai les voir tous les jours pour les aider à se nourrir.

- Brave chien généreux, je ne sais pas ce que je ferais sans toi!

- Je trouve que tu fais plusieurs choses même lorsque je ne suis pas là.

C’est ainsi que les petits singes durent apprendre à vivre loin de leur mère naturelle. Celle-ci se crut un moment libéré de leur présence, mais ce sentiment de n’avoir pu les aimer avait semé en son coeur une graine d’amertume qui allait peut-être pousser lentement, comme cette fleur du mal dont l’odeur infeste les autres senteurs de l’âme. Dame de Vicoque se sentait coupable d’éprouver encore des sentiments féminins après une telle expérience. Son compagnon la vit changer, jour après jour, sans pour autant afficher sa peine. Elle parlait peu et souriait même à l’occasion pour ne pas l’inquiéter. Constamment occupée, elle donnait l’impression d’être “ forte dans l’épreuve ”. Des rides jusqu’alors discrets sur ses joues et son front lui plissèrent la peau pour contredire la beauté de son regard. Son éternel sourire n’était plus naturel, mais cela masquait tout de même cette honte qu’elle éprouvait malgré elle. Pour Aurore, la pudeur et la honte devinrent synonymes. Elle se sentait humiliée et surtout victime de viol. Elle en vint même à s’imaginer que Mêléüs avait pitié d’elle, même si celui-ci l’aimait encore profondément. Elle lui parla une seule fois des singes et d’une voix presque sarcastique.

- Si un jour ces petits monstres ne respectent rien, il ne faudra surtout pas leur en vouloir. Ils ne sauraient agir autrement qu’avec la manière dont ils ont été éduqués.

- Aurore, ce sentiment de culpabilité ne te servira à rien du tout, sinon qu’à ternir cet estime de toi. Tu n’as rien à te reprocher...

- Je ne tiens pas à savoir si j’ai bien fait ou non. C’est fini et pourtant, la vie continue, n’est-ce pas?

La femme s’éloigna en lui faisant un large sourire. Puis, le temps passa. Un jour, juste avant le coucher du soleil, elle plaça ses mains sur les épaules de son homme pour lui dire d’une voix très frêle :

- Ça y est, mon Mêléüs.

- Oui, mais puis-je savoir de quoi tu parles, Aurore?

- De mon coeur libéré, voyons! Tu te souviens de m’avoir dit que tu attendrais que mon coeur se libère? Hé bien, c’est fait. Je t’aime même si j’ai honte de te demander de me faire l’amour après ce qui m’est arrivé l’année dernière.

Paichel la prit délicatement dans ses bras en lui souriant et la conduisit dans la petite maison, exactement comme le ferait un jeune marié avec son épouse. On aurait dit que le soleil brillait majestueusement sur la mer toujours belle et sans âge. Le ciel attendit que l’astre s’étende sur un lit d’horizon avant de descendre le voile de la nuit. Mêléüs et Aurore s’aimèrent aussi fort que la douceur de leurs caresses, exactement comme le clapotis des vagues sur la grève. Nos Robinsons fixèrent un moment la pleine lune à travers leur humble demeure et communièrent mentalement à celle-ci comme pour bénir leur mariage. La nuit fut longue et suave, mais Bacchus et Griffin dormirent sans s’inquiéter des bruits étranges que faisaient leurs maîtres enchantés par l’amour.

Quelques semaines plus tard, Aurore serra les mains de son homme en lui disant d’une voix résignée :

- Tu sais Mêléüs, je n’ai pas oublié ce que tu m’as dit concernant ta mission sur le continent. J’ai longuement médité ces derniers jours à cause de ces peurs qui m’empêchaient d’accepter de vivre seule pour un certain temps. Je me suis dit que si cette mission doit être accomplie, qu’il était de mon devoir de te soutenir en t’encourageant à partir le coeur léger et la conscience en paix. Je réalise que tu dois obéir à tes Maîtres de l’invisible avant toute autre chose. J’avoue être craintive à te laisser partir lorsque tu en recevras l’appel intérieur, mais j’ai fait un rêve étrange cette nuit qui me montrait un oiseau merveilleux que je tentais de garder en cage afin de l’empêcher de fuir. Une voix me demanda d’ouvrir moi-même la cage, sans quoi, l’oiseau amoureux se sentira coupable de s’envoler lorsque son maître lui demandera de partir vers le continent. La voix ajouta que mon bel oiseau reviendra chanter avec un oeuf d’amour.

- C’est vraiment bizarre que tu mentionnes cet oeuf d’amour, puisque j’ai également rêvé à un oeuf que je devais aller chercher sur le continent, ma douce Aurore. Celui-ci se trouvait dans une grotte située au flanc d’une petite falaise. En m’approchant, je voyais un halo lumineux entourer l’oeuf magique d’Éros. Puis, en m’agenouillant pour mieux l’observer, je pense avoir vu une petite étincelle à l’intérieur de la coquille argentée. Une voix me disait que c’était la flamme originelle de l’âme humaine.

- Tu veux dire qu’il s’agirait de l’oeuf primordial qui contenait les gènes du premier homme?

- Oui et non, je dirais simplement que c’est ce FEU SECRET qui va un jour transformer la conscience du premier couple que nous appelons simplement Adam et Ève. Je ne peux expliquer à quoi ressemble ce couple et encore moins cette flamme qui agira en eux pour les distinguer des animaux. J’ose dire que cette étincelle serait la première cellule vivante de l’univers par laquelle toutes les formes animales sont issues et même toute la matière qui compose le cosmos. Ce feu est l’Amour total puisqu’il embrasse toute la création sans tenir compte du bien ou du mal qu’on en dit. Je vais te donner un simple exemple de ce qui est normalement défini comme un bien ou un mal en me servant de cette parabole célèbre du Christ lorsqu’il maudit un figuier qui ne donnait pas de fruits. Logiquement, on accuse cet arbre d’être stérile et donc il devient l’image parfaite pour faire comprendre au lecteur que le bon arbre est celui qui porte des fruits. Mais je me suis souvent demandé pourquoi c’est le figuier qu’on accuse et non le sol dans lequel il a poussé ou encore, l’eau qui n’a pas nourri ses racines, ou peut-être le soleil qui l’a asséché et pourquoi pas les gens qui n’ont pas vu que cet arbre était malade. Je veux dire par cela que tout est intimement lié dans le cosmos, incluant la beauté et la laideur, la lumière et la noirceur, etc,.

- Mais l’Amour est le bien, n’est-ce pas?

- Tu m’aimes et je t’aime, c’est simple dirons-nous? Mais alors, pourquoi vois-t-on la jalousie, la possession de l’autre et même parfois ce désir de l’enfermer dans une cage dorée si on prétend aimer? Le véritable amour est comme une grosse sphère contenant tout ce qui doit être aimer et non ce que l’on aime par choix personnel. Comme on ne sait pas aimer tout ce qui existe, il faut être au moins sélectif dans nos relations. Pourtant, dois-t-on prétendre qu’on aime ou simplement qu’on vit un amour?

- L’amour secret qui se trouve dans l’oeuf magique ne possède aucun sentiment, alors?

- Tu sais Aurore, il est l’Amour et pas les sentiments de l’Amour, sans quoi l’humanité n’aurait aucun sens. Crois-tu que la laideur existerait si la beauté n’était pas là pour la rendre manifeste? La laideur nous déplaît, mais c’est tout de même grâce à elle si on peut en parler et surtout porter des jugements de valeur.

- Écoute Mêléüs, nous parlons d’un oeuf magique sans même savoir s’il existe vraiment. Si c’est le cas, il faudrait le récupérer avant que les dinosaures cherchent à le dévorer. C’est pour cela que tu dois partir, n’est-ce pas?

- Sacré nom d’un chien, tu es devenue si sage, ma douce Aurore, que je ne sais vraiment plus comment réagir à présent. Au début, c’est moi qui cherchait à te convaincre de me laisser partir en mission et maintenant, je me sens comme un homme que sa femme veut mettre à la porte.

- Tu es drôles, mon chéri. Crois-moi, il m’a fallu tout mon courage pour te parler de mon rêve et si tu penses qu’il ne faudrait pas en tenir compte, je serai la première à suivre ton conseil.

- Non, je crois que c’est un songe que nous avons fait tous les deux cette nuit pour nous préparer à recevoir cet oeuf d’Éros.

- Mais pourquoi dis-tu qu’il est celui d’Éros? Je ne vois rien d’érotique dans un oeuf, mon Mêléüs.

- C’est vrai qu’un oeuf ne possède rien de spécial si on l’examine à l’extérieur. C’est donc à l’intérieur de celui-ci que se cache son secret. Selon toi, que doit bien contenir l’intérieur de l’Amour, sinon sa pureté originelle, n’est-ce pas? C’est donc un oeuf non seulement magique mais vraiment SACRÉ que je devrai retrouver sur le continent. Ce qui est sacré est évidemment DIVIN, mais comme personne ne connaît le contenu de Dieu, nous nous contenterons de voir au moins sa coquille.

- Je trouve que c’est tout un privilège de pouvoir toucher un oeuf aussi mystérieux. Crois-tu que les dinosaures en connaissent l’existence?

- Oh!, mais pourquoi cette question? Ces bêtes-là sont sûrement assez intelligentes pour savoir qu’elles sont sur le point de disparaître de la création. S’il fallait qu’elles découvrent cet oeuf, je suis persuadé qu’une réflexion leur traversera aussitôt leur petite cervelle reptilienne. Les monstres se diront naïvement que c’est cet oeuf qui menace leur évolution et non que c’est l’évolution elle-même qui le veut ainsi.

- Mais ils ont tout de même raison de craindre l’apparition du futur maître sur Terre.

- Dans un sens, je dirais que l’instinct animal peut parfois s’avérer aussi fort que nos pressentiments humains. Ils considèrent cet oeuf comme une menace qui pourrait les détruire. Nous éprouvons les mêmes appréhensions depuis l’avènement de la bombe atomique. Les dinosaures réalisent que quelque chose est sur le point de se produire dans l’évolution des espèces, exactement comme si un peuple voyait se lever cette menace d’une bombe atomique. Ce n’est pas l’avènement du pouvoir nucléaire qui rend le monde si craintif, mais la mauvaise foi dans son utilisation. C’est sans doute ainsi que les dinosaures perçoivent ce pouvoir contenu dans cet oeuf que je dois retrouver. Ils ne craignent pas l’homme en tant que l’oeuvre de la Nature, mais plutôt la manière dont celui-ci utilisera son pouvoir sur Terre.

- On dirait bien que tu cherches à me dire que ces grosses bêtes préhistoriques voudraient empêcher cet oeuf d’éclore pour protéger la nature?

- C’est toi qui le pense et non moi, Aurore. J’ai simplement dit que les dinosaures craignent l’avènement de l’homme au même titre que ceux qui ont peur du nucléaire. Ces monstres ne veulent pas disparaître à cause de l’homme et celui-ci ne tient pas non plus à être effacé à cause des bombes nucléaires.

Paichel ne comprenait pas encore par quel miracle sa douce Aurore avait été transformée. En effet, sa compagne voulait le presser à accomplir sa mission avant qu’il apprenne qu’elle est enceinte. Il va sans dire que Mêléüs éprouverait encore plus de difficulté à la quitter s’il devait découvrir la vérité.

Au cours des semaines qui suivirent, notre homme en passa une grande partie à apprivoiser les grosses tortues. Elles finirent par lui proposer elles-mêmes de l’aider à traverser vers le continent, dès qu’il leur exprima son désir de voir les dinosaures de plus près.

- Tu n’es vraiment pas sage d’aller épier ces maîtres du monde, lui dit une tortue en mastiquant une racine.

- Est-ce vrai qu’ils sont intelligents?, demanda notre homme en demeurant agenouillé devant elles pour être à leur hauteur.

Ils possèdent des grosses têtes et des dents énormes, lui répondit une vieille cuirassée. C’est quoi l’intelligence, selon toi? Les dinosaures le seraient s’ils laissaient vivre les petites créatures qu’ils écrasent de leurs pieds avec indifférence. Ils ne nous considèrent pas comme leurs égaux puisque nous constituons d’autres espèces plus faibles selon eux. Si les dinosaures doivent disparaître, nous savons fort bien que c’est pour recréer l’équilibre des forces entre les animaux. La Nature est sage et ingénieuse en plaçant sur terre des animaux terribles qui obligent les autres espèces à les éviter par tous les moyens inimaginables. Pour survivre, nous avons appris à nous adapter à toutes sortes de changements. Tu sais, nous n’avons pas toujours été herbivores, mais faute de rapidité pour attraper nos proies, il a bien fallu trouver notre force ailleurs que sur la terre ferme. Nos ancêtres carnivores faillirent disparaître à cause des dinosaures qui pouvaient les traquer facilement malgré que les tortues pouvaient se déplacer beaucoup plus vite que nous. Par contre, nous avons développé notre vitesse dans l’eau et même les dinosaures ne peuvent nous vaincre dans notre élément. Par la force des choses, il a fallu apprendre à nous nourrir de ce que contient le fond marin.

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